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La Psychologie Transculturelle

Texte tiré du document professionnel

La pratique du psychologue dans le domaine de la Transculturalité,

de Patricia Lopes

En effet,
comment faire avec
les différences culturelles?

A l’occasion d’un groupe de parole, Ahmed, un patient psychotique, interroge les infirmières psychiatriques et moi-même, la psychologue, qui anime l'atelier. Dans son quartier, en France, il voit des démons et il en a peur. En France, il passe pour un délirant. Pourtant en Algérie, son pays d’origine, les gens croient aux démons, aux djinn. D’après lui, là- bas, on ne le prendrait pas pour un fou.

Que répondre?

Quand en plus d'une différence de structures psychiques (entre psychose et névrose) et d'une différence de prévalence dans la population qui crée la norme (minorité de psychotiques, majorité de névrosés), s'ajoutent alors une différence d'appartenance culturelle?

 

Dans le soin, comment faire justement avec les diverses appartenances culturelles des patients?

Car en effet dans le domaine de l'accompagnement de personnes en souffrance, il peut s'agir de personnes partageant les mêmes repères culturels que nous ou aussi bien s'agir de personnes de cultures étrangères, que ce soient des cultures différentes car ayant leurs origines dans un autres pays ou bien d'autres cultures nées sur notre propre territoire (" spécificités régionales", "culture de la rue",  "précarité"...) ou encore se basant sur d'autres paradigmes ou références de pensées ( "socle de pensées et savoir-faire transmis dans et par la famille", "religion", "spiritualité", "mythes institutionnels", "valeurs capitalistes, marchandes"...).

Il s'agit également des différences culturelles, au sein du même pays, entre générations actuelles et celles des anciens. Les normes, les références qui ont conditionné la vie des nos aïeux et anciens ont évolué dans le temps et ne sont plus les mêmes aujourd'hui que par le passé. (Cette prise en compte transculturelle est essentielle en psychanalyse transgénérationnelle).

Spécificités du Psychologue Transculturel

Le psychologue formé à la Transculturalité peut aider à répondre à ces interrogations.

Le psychologue Transculturel est nécessairement un psychologue formé à la Psychologie Clinique.

La Transculturalité en est finalement un embranchement, un enrichissement, comme l'est d'ailleurs le Transgénérationnel.

Le psychologue transculturel est le plus à même de recevoir dans son cabinet des patients de différentes cultures, et de soutenir les institutions dans l'accompagnement de patients dont les normes, croyances et représentations rattachées à leurs culture d'appartenance complexifient ou rendent plus difficile la prise en charge.

 

En effet, les patients sont des membres d’un groupe, d’une culture. Lorsque cette culture est différente des soignants/accompagnants, ces patients ont des savoir-faire et des représentations qui leur sont propres et différents concernant la santé, la maladie, la loi, les démarches administratives, la famille, le couple, les enfants, etc.

Il faut donc tenir compte de leur culture en se rappelant d’abord que cette culture n’est pas figée, qu’elle est un ensemble dynamique de structurations, de modes de vie et de pensées, qui va venir à la rencontre, ou à l'encontre, des systèmes de faire et de pensée des professionnels.

                                Le psychologue transculturel veille à ce que cette différence culturelle

                                ne se transforme pas en rupture culturelle et psychique.

  • Le psychologue transculturel constitue, par son offre d'un lieu et d'un temps de parole et d'écoute, un espace de rencontre, d'échanges et de possibles entre deux personnes, deux subjectivités et deux cultures.

  • Le psychologue transculturel ne considère pas uniquement la psyché et sa dynamique interne. Il prend en compte le contexte culturel dans lequel vit le patient et sur lequel celui-ci s'appuie aussi pour s'exprimer personnellement.

  • Le psychologue transculturel repère également les influences d'un contexte politico-culturel et ses particularités: comme les représentations de la santé et de la maladie somatique et psychiatrique, les croyances religio-spirituelles, les normes sociales et les codes juridiques, qui en institutions conditionnent les accompagnements proposés.

    Ainsi donc, au sein même d'établissements, où se rencontrent patients et professionnels d'une même culture, une réflexion clinique transculturelle est tout aussi pertinente et révélatrice car chaque institution a sa "propre culture", ses propres "mythes fondateurs", ses codes et normes ... qui soutiennent la pratique des professionnels ou au contraire viennent la brouiller, la déposséder de son bon sens.

Différence avec
l'ethnologue / l'anthropologue

La culture d'appartenance du patient n'est pas en soi l'élément pertinent pour le psychologue transculturel et il n'a pas besoin d'avoir des connaissances ethnographiques de chacune des populations reçues, (même si de bonnes connaissances sur la symbologie de ces cultures sont une précieuse aide durant les suivis thérapeutiques.)

En effet, le psychologue transculturel se différencie de l'ethnologue et de l'anthropologue. Il reste un psychologue avant tout et garde sa propre spécificité en tant que tel, en ayant une perception globale d'un patient, considéré comme un être toujours singulier, unique et une vision pluridimensionnelle de sa prise en charge.

Peu importe, en réalité la culture d’origine de ces personnes ou celle même de la structure de soins, ce qui compte se sont leurs propres croyances, leurs symboles, leurs fantasmes... En sommes, la façon dont elles s’approprient leur culture et l’espace d’accueil proposé et dans une autre mesure, la façon dont elles sont reçues et accompagnées par les professionnels en fonction de la "culture institutionnelle", en fonction de la subjectivité de l'accompagnant.

Accompagner, soulager, soigner, guérir
grâce à l'appartenance culturelle.

Les personnes accueillies sont indissociables de leur culture, comme elles le sont de leur histoire personnelle. Le psychologue transculturel ne cherche pas à adapter les personnes de culture autre à son propre contexte culturel, comme doivent faire par exemple les travailleurs sociaux lorsqu'ils accompagnent les patients dans leurs démarches administratives selon des protocoles régis par l'état français, ou comme les médecins lorsqu'ils auscultent comme ils ont été formés à le faire dans les structures françaises et selon le paradigme scientifique occidental.

Au contraire, le psychologue interculturel peut utiliser des éléments des cultures d'origine des patients comme soutien de la relation thérapeutique, voire même comme réponse thérapeutique.

 

En reprenant notre exemple. Si l'on insiste sur les différences de croyances entre le pays d'Ahmed et la France, le risque serait grand de s’engouffrer dans une impasse réductrice où Ahmed ne serait perçu que comme un élément étranger dissous dans une masse culturelle.

Les professionnels risqueraient d'alimenter, voire d'intensifier, la problématique psychotique d'Ahmed (sentiment d'une part étrangère à soi en soi, moi-peau défaillant ne permettant pas le sentiment de pouvoir être séparé de l'environnement extérieur, mais augmentant le sentiment d'être envahi et de se dissoudre dans cet extérieur à soi...).

De plus, en répondant sur la base d’une opposition culturelle alors irrésoluble (« oui en Algérie on croit aussi à l'irrationnel, mais en France on ne croit qu'au rationnel »), l'on briserait les ponts transculturels de communication existants entre les professionnels et Ahmed et l'on accentuerait le clivage de celui-ci, car déjà psychotique, cette fois par sa double culture.

La psychologue que je suis ne répond pas de suite. Je m'interroge et en fait je ne sais plus quoi croire. En France, pourtant il existe des croyances sur la sorcellerie et les démons. En Algérie, la psychiatrie est aussi connue et il n’est pas certain qu'Ahmed n’y serait pas considéré comme souffrant de maladie mentale. Finalement, la seule chose en laquelle je peux croire est justement en l’existence de la croyance. Qu'Ahmed croit ce qu’il dit et qu’il croit en ces croyances. Mais en fait que signifie-t-il par ce discours ? A mon tour, j'interroge Ahmed la dessus.

 

Ahmed aussi ne répond pas de suite et réfléchit. Et puis il exprime avec ses propres mots sa souffrance, cette dissociation psychotique difficile en lui-même, en miroir avec ce clivage culturel qu'il perçoit également comme sans issue. Finalement, il ne sait pas qui il est, et personne ne peut le lui dire, soit il est « tout » (à la fois français et algérien, « tout » comme il le ressent dans ses délires mégalomaniaques de toute-puissance) soit « rien » (à la fois ni vraiment français, ni plus vraiment algérien, rien et disparu comme il l'éprouve avec ses angoisses de dissolution).

Ainsi, loin d'être un obstacle engendrant l'incompréhension, les différentes cultures, les croyances collectives qui leurs sont particulières viennent soutenir et exprimer quelque chose de la souffrance individuelle.

C'est cette hypothèse de travail, qui fonde la réflexion clinique du psychologue transculturel et qui guide sa pratique, plutôt créative, auprès de patients, qui l'enrichissent par leur culture et qui, souvent et salutairement, questionnent en miroir les fausses évidences, les propres croyances des professionnels...

Ahmed nous interrogeait, nous l'équipe, sur les différences de croyances culturelles, mais au delà, ce qu'il interrogeait était nos propres postulats. Enfin, ne venait-il pas ainsi signifier que ces représentations psychiatriques, ce discours psychologique, sont aussi des théories, des croyances ? Ne venait-il pas jeter un doute dans nos évidences professionnelles?

Car il est vrai qu'après tout, la rencontre entre un patient et un professionnel est avant tout la rencontre entre deux humains...

Le Transculturel dans Ma Pratique

Alors quelle humaine suis-je?

Je suis moi-même de double culture, franco-portugaise.

L'histoire de ma famille est marquée par l'exil, le déracinement.

Si mes parents sont nés au Portugal, je suis née en France et comme Ahmed, pendant longtemps je ne savais pas qui j'étais: portugaise ou française, ou les deux opposés à la fois (mais comment?) ou finalement ni l'une, ni l'autre.

En fait, j'ai fini par comprendre et intégrer le fait que j'étais "métisse", non métisse de peau mais métissée culturellement. J'étais depuis toujours en réalité un mélange, non seulement de mes deux cultures d'origine, mais aussi de bien d'autres aspects reçus, choisis, acquis d'autres cultures dans lesquelles je me suis aussi reconnue. C'est cet ensemble et sa dynamique qui m'ont permis de soulager, de réparer et de réécrire ma blessure personnelle en force.

C'est grâce à cette expérience dépassée que j'ai certainement pu comprendre la souffrance d'Ahmed, c'est grâce à cette richesse consciente que je peux aller puiser la compréhension qui manque pour compléter les "puzzles" que sont les problématiques de mes patients.

Je suis donc une métisse, et sans cesse en métissage... en conversation perpétuel avec tous ces aspects, ces symboles d'ici et d'ailleurs "qui me parlent", "qui me racontent quelque chose..." et je suis à l'écoute:

J'ai été durant l'enfance bercée par les histoires parentales racontant les mythes et croyances du village, les esprits errants, les mauvais sorciers jeteurs de sorts et les bons magiciens qui défont ces sortilèges. J'ai connu à chaque coin de chemin l'empreinte obscure du catholicisme tout puissant et des rythmes journaliers soumis à ses litanies et ses lois. Mes grands-parents ne me parlaient pas, mais ils étaient les produits et les travailleurs de la terre, cette terre animale que je humais et foulais tout l'été pieds nus. Et les forêts sèches, craquantes et odorantes, plusieurs fois ressuscitées, au sein desquelles se cachaient des fontaines et des retenues d'eau claire, que seuls peu savaient suivre les invisibles sentiers et dans lesquelles je venais boire et me baigner... 

Comme les anciens qui ne connaissaient pas le confort des maisons modernes, j'ai appris au Portugal à domestiquer la terre pour manger, à aller cueillir l'eau pour boire, à n'avoir que ses deux mains pour faire, à jouer avec la boue pour, comme aux origines, créer mes petits bonhommes d'argile, à parler aux animaux et devenir amie avec la nuit car j'y ai vu la nuit, toutes les nuits, comme il est impossible de la voir maintenant: une lune si grande, si proche qu'elle remplit la moitié de l'espace, des pluies de météores filer et s'éteindre juste avant de toucher le sol, une infinité d'étoiles suspendues qu'elles en remplissaient tout le ciel brillant et que se dessinait en une grande bande toute blanche, la voie lactée. La nuit, comme le soleil dans le jour, me paraissait une force protectrice.

Je suis un mélange de ce Portugal que l'on m'a transmis, mystique, sombre, ancestral et intuitif et de cette France lumineuse, véritable fenêtre sur l'autre, les autres, la société, m'appelant à m'ouvrir à l'extériorité, nourrissant mon besoin d'apprendre encore et encore.

Ce double rapport culturel dynamique, riche et vivant, je l'utilise dans ma pratique et d'ailleurs je ne peux pas faire autrement, car en tant que psychologue, je suis mon propre outil de travail.

J'utilise avec les patients des ponts culturels que nous créons

pour compléter au lieu d'opposer,

pour "ancrer" au lieu de rester "déraciné et perdu",

pour soulager, réparer et guérir au lieu de répéter en vain la souffrance. 

Ces ponts culturels peuvent se construire sur la base de la symbologie,

d'actes symboliques, d'exercices...

 

C'est cet ensemble et sa dynamique qui permettraient bien de soulager,

de réparer et de réécrire la blessure personnelle des patients en force.

Le Psychologue Transculturel 
aussi au service des expatriés

De la même façon que le psychologue transculturel prend en compte la rencontre entre la culture d'appartenance de son patient et le contexte culturel français dans lequel il vit, il considère aussi l'inverse, c'est à dire un patient à la culture française confronté à un contexte culturel différent, que ce soit les particularités régionales (ici basques ou gasconnes), que ce soit les particularités culturelles propres que l'on retrouve dans les dom tom ou bien radicalement différentes car propres aux pays étrangers (les expatriés).

En effet, vivre dans un pays aux repères culturels différents peut être source de mal-être psychologique (voire traumatique et/ou psychopathologique: "syndrome de l'Inde" par ex.) ou du moins peut venir difficulter un mal-être psychologique déjà préexistant...

Pour ces personnes expatriées qui ont besoin d'un soutien psychologique/psychothérapeutique, il est essentiel qu'elles puissent le faire dans leur langue maternelle française, or il n'est pas toujours aisé de trouver dans ces pays étrangers un psychologue comprenant et parlant couramment le français et qui repère les subtilités de la culture française...

 

Mais aussi, ce psychologue étranger qui parlerait français ou bien un psychologue français, qui prendrait en charge un patient français résidant dans un autre contexte de référence doit avoir les compétences d'intégrer cette dimension culturelle pour en faire une analyse pertinente afin de comprendre en quoi elle interagit au sein de la problématique du patient et savoir comment faire avec. 

 

Le psychologue transculturel est également à ce propos l'un des plus à mêmes de prendre en charge ce type de patients expatriés, car il propose une analyse experte plus complète et est sensibilisé aux représentations et références symboliques propres à ces cultures étrangères de part sa formation, ses expériences, ses recherches.

Pour ma part, d'origine luso-française, ayant vécu en temps au Portugal et au Brésil, ainsi que voyagé dans les Antilles, j'ai une certaine affinité avec la culture d'Amérique Latine et des îles Caraïbe.

Aussi, ayant travaillé avec plusieurs patients d'origine d'Afrique du Nord et subsaharienne, justement sur des problématiques psychiques en lien avec le transculturel et transgénérationnel, j'ai acquis une base de connaissances utiles des cultures maghrébines et berbères et d'Afrique Noire.

Ainsi, je propose à ceux et celles, expatriés dans ces territoires lointains

et qui souhaiteraient cependant pouvoir bénéficier de mes prestations,

des séances en visio/télécommunication,

dans leur langue maternelle française.

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